Recherches

Mes recherches s’inscrivent dans le champ de la sociologie de l’éducation et interrogent les inégalités sociales et scolaires en s’intéressant aux marges de l’école.

Ils peuvent être regroupés en quatre axes :

  • la composition des marges de l’école (dispositifs et parcours en ruptures, décrochages scolaires),
  • le partage de l’éducation (partenariats, alliances éducatives et professionnalités,
  • socialisations juvéniles et
  • comparaisons internationales.

La composition des marges de l’école, fonctions et usages des dispositifs éducatifs

Plusieurs de mes travaux ont été l’occasion d’explorer des parcours d’élèves passant par les frontières de l’école (Rayou, 2015). C’est le cas de nombreux jeunes qui sont suivis par des professionnel·les de l’Aide sociale à l’enfance ou de la Protection judiciaire de la jeunesse auxquels je me suis intéressé au cours de plusieurs de mes recherches.

Scolarités et Aide sociale à l’enfance

Lors de mon travail de thèse, j’ai identifié des difficultés scolaires importantes pour les enfants passant par l’Aide sociale à l’enfance (Denecheau, 2013). J’étudie les prises en charge dans des dispositifs ou des structures hors de l’école ordinaire, dans des écoles spécialisées par exemple. Dans les deux pays, le difficile soutien de la scolarité par les travailleurs sociaux n’empêche pas les écarts aux parcours scolaires ordinaires. En France, les prises en charge spécialisées sont plus fréquentes, comme les orientations vers des filières professionnelles, qui sont prises par défaut. En Angleterre, ils peuvent également avoir des emplois du temps scolaires réduits, l’écart à l’ordinaire étant alors marqué par un temps scolaire plus court.

En croisant les travaux en protection de l’enfance, et particulièrement sur les interventions socio-éducatives (Durning, 1986; Fablet, 2000), et les travaux en sociologie de la famille qui explorent les rapports à l’école (Lahire, 1995; Périer, 2010), j’ai pu identifier comment étaient appréhendées, et parfois maintenues, les vulnérabilités des enfants cumulant des difficultés (avant et pendant l’intervention), se répercutant sur leur scolarité.

Scolarités et Protection judiciaire de la jeunesse

J’ai pu initier des croisements qui seront à poursuivre, en explorant d’autres types d’interventions socio-éducatives, pour mieux situer leur rapport à l’école et leur contribution aux scolarités des enfants (Denecheau, 2023). Ces apports complètent les travaux qui identifient comment les familles répondent plus ou moins difficilement aux attendus de l’école (Bautier & Rayou, 2009). Investiguer ces lieux (dispositifs, lieux de prise en charge scolaire ou sociale, placement) et ces interventions (par la mobilisation de professionnels particuliers) et de leurs effets sur les scolarités. C’est lorsqu’ils génèrent des écarts aux circuits ordinaires qu’ils sont constitutifs des marges de l’école. Ces espaces éducatifs peuvent marquer une distance avec l’école. Pourtant, les jeunes peuvent y passer plus de temps parfois parce que les travailleurs sociaux les retiennent, parfois parce que l’école délègue une part du temps scolaire dans ces espaces hors de l’école, tenus par des professionnels non-enseignants.

Ruptures scolaires, décrochages

Les marges de l’école peuvent être explorées pendant les scolarités, mais également quand elles se terminent. Les sorties de l’école, avec ou sans diplôme, peuvent être suivis de passages dans des dispositifs de plus ou moins grande proximité avec l’école, marquant un prolongement ou une rupture avec elle. Avec une équipe de l’Université de Nantes, j’ai exploré les dispositifs dits de deuxième chance, s’inscrivant dans les politiques de traitement du décrochage scolaire (Denecheau, Houdeville, & Mazaud, 2015). Ces travaux ont contribué à mieux situer ces dispositifs éducatifs particuliers se situant à la sortie de l’école (majoritairement adressés aux non-diplômés) et à l’entrée des emplois à bas niveau de qualification. Ils se situent ainsi à une autre place de ces marges, se distinguant fortement d’autres lieux éducatifs, tels les micro-lycées (Pirone, 2014), tant dans leur rapport aux modes de socialisation de l’école que de la composition de leur public. Il peut s’agir là aussi de marges, tant ces lieux se positionnent toujours par rapport à l’école pour s’en distinguer ou s’en approcher (dans leur appropriation ou distanciation de la forme scolaire, dans leur lien avec les établissements scolaires, dans les perspectives possibles de poursuites d’étude ou d’entrée en formation ou en emploi).

Dispositifs, problématiques éducatives et marges

D’une étendue plus large que des frontières, plusieurs de mes travaux permettent d’explorer ces espaces éducatifs, à la marge des circuits ordinaires, qui permettent de mieux situer, par contraste, les périmètres de l’école et la fonction de ces marges. Elles sont notamment constituées par les dispositifs éducatifs qui se sont fortement répandus depuis les années 2010 (Barrère, 2013) et qui, pour certains, peuvent accueillir à dessein ou malgré eux les élèves identifiés comme étant en difficulté à l’école (sur des dimensions d’apprentissage, ou de désordres scolaires).

Le concept de marge peut appuyer l’étude de la structuration de l’école et de sa capacité à s’adresser à tous les élèves. Depuis la massification scolaire en France et l’apparition de l’échec scolaire comme problème public (Isambert-Jamati, 1985), des difficultés fortes étant présentes dans un système censé garantir l’égalité pour ses élèves, les recherches en éducation, largement portées par les Sciences de l’éducation, ont identifié l’évolution des politiques éducatives visant à réduire ou à résoudre des problématiques éducatives, nouvelles par leur entrée dans le débat public et politique (Moignard, 2018). À partir d’un travail collectif, Daniel Frandji et Jean-Yves Rochex identifient plusieurs âges des politiques d’éducation prioritaire qui passent d’une logique de réduction des inégalités à une appréhension des difficultés individuelles (Frandji & Rochex, 2011). Je mobilise ces travaux et utilise le concept de marges, pour étudier les différentes configurations et évolutions dans le temps de ces espaces éducatifs aux frontières de l’école, qui constituent des moments hors du circuit ordinaire, sur des temps courts (le passage en dispositif relai, ou au sein de dispositif de prise en charge des élèves temporairement exclus par exemple) ou des temps longs (des orientations en classes SEGPA ou des filières qui font fonction de relégation) (Kherroubi, Millet, & Thin, 2015; Moignard & Rubi, 2013; Palheta, 2012; Zaffran, 2010).

Le partage de l’éducation, les alliances éducatives et les professionnalités

Mes travaux interrogent la façon dont des professionnel·les hors du champ scolaire sont confrontés à la question scolaire. Certains n’y sont pas préparés par leur formation, c’est le cas des professionnel·les de l’Aide sociale à l’enfance (Denecheau & Blaya, 2014) et de la Protection judiciaire de la jeunesse (Denecheau, 2023). Ils travaillent alors cette question à partir de ce qu’ils en perçoivent, et avec des ressources diverses. Ils se trouvent dans une position ambivalente, mieux équipés que les parents de milieu populaire (Périer, 2005), mais avec moins de ressources que les familles de milieux plus favorisés (Henri-Panabière, 2010), parfois avec des niveaux d’étude équivalents. Cela peut s’expliquer par les processus de sélection et de formation de ces professionnel·les (Bodin, 2009). Ces travaux permettent de mieux comprendre comment ils appréhendent la scolarité, mais aussi quand et comment ils peuvent être sollicités sur cette question, parfois malgré eux (Denecheau, à paraître). Les effets peuvent être importants pour les enfants, sur leur scolarité, mais également sur leur orientation (Denecheau, 2015).

Ces apports sur ces professionnel·les et leurs pratiques contribuent aux travaux portant sur la division du travail éducatif (Tardif & Levasseur, 2010), et à ceux sur la sociologie des professionnel·les « pour les jeunes » (Becquet, 2021). Différents professionnel·les, qui se distinguent par leur formation, leur champ professionnel, leurs objectifs et leurs conditions de travail, sont amenés à travailler ensemble, de concert ou de façon complémentaire auprès de jeunes, souvent dans le champ large de l’éducation. Ce travail partagé ne va pas de soi et une part de plus en plus importante de travaux explore ces tensions, malentendus, ou complémentarités qui peuvent être profitables ou défavorables aux parties engagées (Divert & Lebon, 2017; Tardif, Marcel, Bagnoud, & Piot, 2017). Je croise les points de vue et les expériences, tel que nous l’avons mené collectivement dans des Villages d’enfants (Denecheau, Gasquet, Join-Lambert, Mackiewicz, & Robin, 2017) ou dans des milieux ouverts de l’Aide sociale à l’enfance (Anton, Denecheau, Deshayes, & Pochetti, 2021), recherches qui ont donné lieu à des recueils et des croisements d’expériences et de perceptions entre les différents acteurs (enfants, familles, professionnel·les).

J’ai opéré des analyses récentes s’inscrivant dans la littérature portant sur le partage de l’éducation, par le prisme du partenariat (Morel, 2020) ou des alliances éducatives (Blaya, Tièche Christinat, & Angelucci, 2018). Les alliances éducatives rejoignent d’autres concepts utilisés dans le champ de l’action publique : ce sont des concepts utilisés scientifiquement autant que des termes mobilisés dans les discours politiques, parfois comme des injonctions ou lors de formules qui se veulent performatives. Avec Marie-Pierre Mackiewicz, nous avons commencé à discuter des limites d’alliances, entendues comme des actions concertées ou partagées entre des acteurs éducatifs de différents secteurs visant réduire ou résoudre un problème identifié (Denecheau & Mackiewicz, à paraître). Dans cette publication, nous distinguons l’efficacité ressentie dans les pratiques des effets sur l’éducation des enfants. Nous identifions le risque que les changements facilitent le travail individuel ou partagé, sans avoir d’effet sur les problèmes identifiés.

Ces interventions par différents secteurs et différents professionnel·les peuvent se traduire par des ensembles d’actions dont les temporalités ne sont pas toujours concordantes entre elles, et elles se déroulent souvent sur des temps relativement courts au regard des temps longs dans lesquelles s’étendent les difficultés qu’elles sont censées réduire ou résoudre. Le prolongement de ces travaux s’inscrit dans une sociologie de l’action publique en éducation, et plus particulièrement des problèmes publics pour étudier tout ce qui fait problème (les désordres scolaires, les sorties sans diplôme, la prise en charge des difficultés scolaires) et les acteurs mobilisés pour y répondre.

Je développe de nouvelles pistes de recherche pour explorer d’autres lieux et d’autres secteurs en interactions sur des objets éducatifs, en lien direct avec l’école ou indirect, sur des questions de scolarité. C’est dans ce sens que je m’inscris dans un collectif de recherche sur la mise en œuvre des Cités éducatives, nouvel objet politique d’articulation des politiques éducatives territorialisées. Dans le cadre d’un groupe de travail collectif d’une vingtaine de chercheurs coordonné par Daniel Frandji, Benjamin Moignard et Stéphanie Rubi, nous travaillons à quelques-uns sur le concept de participation (des publics et des acteurs intermédiaires, les associations et services municipaux par exemple). Ce concept, davantage travaillé sur les objets de politiques locales (sur la démocratie participative par exemple) (Carrel, 2017), complète les travaux sur le travail éducatif partagé. L’entrée par les alliances éducatives soulève les questions d’élaboration partagée des actions éducatives et de concertation (Gilles, Potvin, & Tièche Christinat, 2012), elle pourra être complétée avec un nouveau paradigme qui permet d’investiguer les formes de participation, les usages et les normes qui sont en jeu pour les acteurs mobilisés.

Socialisations juvéniles, parcours et vulnérabilités

C’est un axe présent dans plusieurs de mes travaux. Dans ma thèse, j’ai étudié les parcours des jeunes en institution et ce qu’ils en disent. J’ai distingué plusieurs expériences, des jeunes à l’aise en institution et à l’école, d’autres davantage mis en difficulté par ces changements, parfois non perçus par les travailleurs sociaux.

Au sein du travail collectif sur les dispositifs de deuxième chance, nous avons retracé les parcours et identifié les situations des jeunes passant par ces lieux (Bernard, David, Denecheau, & Gosseaume, 2015). Cela permet de resituer leur parcours sur une temporalité plus longue que leur passage dans les dispositifs. Cela permet d’identifier les malentendus, par exemple sur leurs motivations ou capacités perçues qui sont au final davantage des indicateurs sur leurs dispositions et ressources (Mazaud & Morel, 2015). Ces analyses mettent au jour les désajustements entre les dispositifs de remédiation de décrochage scolaire et les temporalités de leur public (Denecheau et al., 2015), et contribuent à mieux comprendre les persistances des difficultés qu’ils rencontrent.

Prendre en compte leurs perceptions, contribuer à mettre au jour leurs ressentis, mais aussi leurs analyses (Robin, 2020), permet de déconstruire les catégories de l’action publique, et de resituer leurs parcours et leur situation dans la durée et dans leur complexité, peu perçus par les acteurs qui travaillent auprès d’eux. Une nouvelle analyse de mes matériaux nourrit une analyse diachronique plus approfondie de ces parcours singuliers, mais aussi en comparant ces différents parcours, au-delà d’un passage par une catégorie de l’action publique.

La comparaison internationale, interface entre recherche et enseignement

J’ai souhaité m’inscrire dans une démarche de comparaison dès ma thèse. J’ai été accueilli par l’équipe de l’Institute of criminal justice studies, sous la direction de la professeure Carol Hayden. Saisissant le potentiel heuristique de la comparaison en sciences sociales (Vigour, 2005), celle-ci a structuré mes analyses dès ma première publication (Denecheau, 2011), elle a été une composante essentielle de ma thèse. La comparaison de situations singulières en France et en Angleterre, ainsi que le croisement des méthodes qualitatives et quantitatives pour porter cette comparaison, a permis de mettre au jour ce qui peut se jouer lors d’interventions socio-éducatives, dans des institutions constituées par de multiples éléments (les politiques et les lois qui les régissent, les professionnel·les et leurs pratiques, les jeunes qui y sont orientés, etc.). Par la suite, mon inscription dans le collectif du Laboratoire de recherche sur l’accrochage scolaire et les alliances éducatives (Lasalé), collectif international composé de chercheurs suisses, belges, luxembourgeois, canadiens et français, m’a permis de prolonger cette approche en partageant des confrontations croisées avec des collègues étrangers.

En parallèle, j’ai travaillé sur la mobilisation de cette démarche au sein d’enseignements, notamment auprès d’étudiants de DUT carrières sociales et de Master MEEF 3 (Cadres en éducation), pour travailler une initiation à la comparaison internationale qui vise à mieux comprendre les processus éducatifs, tout en facilitant la remise en question des allants de soi forgés par ce qui nous est familier (Sartori, 1994). Ces expérimentations ont donné lieu à une publication coécrite avec Irene Pochetti, avec qui nous avons partagé des réflexions et des dispositifs sur cette approche (Denecheau & Pochetti, 2020). L’entrée comparative, à partir de cette publication et de nos expérimentations pédagogiques, a pu être le liant de partenariat avec des collègues étrangers, notamment de l’Universidad Alberto Hurtado (Santiago, Chili), avec lesquels nous avons dirigé un numéro de la revue scientifique Intervención (Denecheau, Pochetti, Miranda Pérez, & Canteros Górmaz, 2021).

Ces expériences m’ont permis de mobiliser la comparaison dans une entrée croisée entre recherche, enseignement et partenariat (des conventions plus formelles ayant été établies avec les collègues pour permettre des échanges étudiants).

Ces recherches ont donné lieu à un ensemble de publications qui sont listées ici.